Cerveau humain et organisation des pensées
Pour le plaisir de jouer avec les idées, j’aimerais partager une réflexion sur le fonctionnement du cerveau humain dans le contexte du rapport que nous avons avec le temps. Déjà quelques connaissances de base, toutes simples et largement répandues, aident à la compréhension de nos processus mentaux. De là, je montre comment émerge le besoin de lieux spécifiques à considérer pour un agenda.
Comment notre cerveau organise-t-il nos pensées . Pour répondre à cette question, commençons par rappeler que nous avons deux hémisphères qui travaillent main dans la main. En gros, le côté gauche fonctionne linéairement, comme le temps qui passe, et traite les idées séquentiellement, l’une après l’autre. Le côté droit se comporte d’une toute autre façon, car il embrasse la réalité dans sa globalité. Ces deux compagnons collaborent à chaque instant et veillent à maintenir un fin équilibre dans notre esprit. Et bien entendu, nous effectuons sans cesse des aller-retour entre les côtés gauche et droit.
Maintenant, voyons un peu comment nous sommes face à la liste-des-choses-à-faire. Ne détestons-nous pas avoir un agenda serré où nous devons passer séquentiellement au travers d’une série de tâches programmées à des heures précises . La plupart du temps nous nous accommodons assez bien d’un enchaînement de trucs à faire, en autant que nous ayons le loisir de tergiverser, de se perdre un petit peu, de rêvasser, nous amusant à faire toutes sortes de liens. Ceci prévaut également au-delà de la rêvasserie, comme par exemple lorsque nous optons pour faire autre chose parce qu’une évidence ou un imprévu nous y conduit. Il y a donc, d’une part, l’idée occupant présentement notre esprit qui entretient simultanément de multiples liens avec d’autres, et d’autre part, cette même idée comme élément faisant partie d’un enchaînement continu.
Revenons au cerveau. Le côté droit est englobant par nature, concevant constamment le monde comme un tout, affairé à nous faire ressentir notre état… Bref, le contraire de se concentrer sur un détail. Le côté gauche, quant à lui, voit les tergiversations et les liens plutôt comme des entraves au parcours linéaire qu’il s’applique à suivre, désireux qu’il est de progresser d’une idée à une autre. Selon la neuroscientifique Jill Bolte Taylor, qui a perdu pendant de nombreux mois l’usage de son hémisphère gauche, il semble qu’il soit plutôt agréable d’être uniquement dans son hémisphère droit. Elle associe même cet état au nirvana « Je considère mon expérience comme une véritable bénédiction dans la mesure où elle m’a permis de comprendre que la paix intérieure est accessible à n’importe qui, n’importe quand. Je reste persuadée qu’il est possible d’atteindre le nirvana grâce à notre hémisphère droit, et de nous y réfugier chaque fois que nous le souhaitons. [Bolt Taylor 2009] Ceci dit, il nous serait difficile de se cantonner en permanence dans l’hémisphère droit. Y flotter dans un état de béatitude est bien, mais n’en demeure que le travail qui s’y effectue doit tout de même aboutir. Peut-être qu’après tout la nature ne s’est pas trompée et que nous avons réellement besoin des deux hémisphères ! Le droit perçoit un état, le nôtre entremêlé à celui monde qui nous entoure, et le gauche met en place un processus pour que nous agissions sur lui.
Une bonne approche est probablement de considérer chaque nouvelle petite idée ou nouveau fragment d’information comme une partie d’un immense tableau et non pas se restreindre à la traiter isolément, comme une entité propre, dissociée du reste. Ces morceaux prennent de la valeur s’ils servent à construire des pensées, mener des réflexions, aider à comprendre et produire du sens. Ce qui, en soi, n’est pas forcément linéaire.
Ceci dit, de quelle façon notre cerveau organise-t-il les idées. De façon un peu simpliste, il m’apparait qu’il y a deux réponses à cette question : selon une structure et par associations. La première consiste souvent à organiser les idées de manière hiérarchique, c’est-à-dire du global vers le détaillé. Chaque idée pouvant être développée en sous idées, jusqu’au moindre détail. À ceci s’ajoutent les associations, lesquelles sont des liens que nous établissons entre les idées… en prenant beaucoup de liberté. Souvent nous établissons des rapports entre des idées qui ont, du moins en apparence, très peu en commun. D’ailleurs, nous passons constamment d’une idée à une autre.
Comment l’ordinateur peut-il aider ici . Facile. En utilisant deux trucs déjà omniprésents en informatique. La hiérarchisation des idées et l’interconnexion de certaines d’entre elles. Ne nous vient-il pas tout de suite à l’esprit la façon hiérarchique dont sont organisés les fichiers de pair avec les hyperliens . Il n’y a qu’à ouvrir n’importe quel site Internet, les idées sont majoritairement organisées selon une structure, souvent hiérarchique et on y fait un usage intensif d’hyperliens satisfaisant cette propension à la navigation tout bord tout azimut de notre cerveau droit.
Ne pourrions-nous pas organiser et interagir avec l’ensemble de notre base de données personnelle numérique, via notre agenda électronique, d’une façon qui s’apparenterait à celle du fonctionnement de notre cerveau . Que se passe-t-il lorsqu’une nouvelle information ou une nouvelle idée surgit dans notre esprit et capte notre intérêt . Que fait-on après qu’elle ait franchi un premier filtre discriminatoire . Nous l’écrivons et la sauvegardons à quelque part. S’agit-il d’une recette, nous ouvrons le fichier recette. docx et l’écrivons dans la section, disons gâteau. Dans ce simple exemple, la méthode convient tout à fait. Qu’en est-il si cette information fait partie d’un processus très complexe . S’il s’agit d’une idée originale, d’un événement d’importance, d’une conversation téléphonique, d’un courriel ou d’une tâche définie pour un objectif bien précis, comme c’est souvent le cas dans un projet. Comment traite-t-on ces parcelles d’information . Le côté gauche du cerveau les range volontiers selon un ordre chronologique ou en un endroit bien précis d’un processus bien défini, alors que le côté droit s’amuse plutôt à faire une multitude de liens avec des endroits de notre base de données qui peuvent être bien différents les uns des autres. Pire, notre esprit peut très bien s’emballer et courir dans toutes les directions, générant idées par-dessus idées, qui malheureusement trop souvent se perdent. N’est-ce pas ce qui nous arrive en situation de stress ! Identifions le processus, celui se produisant lorsqu’une nouvelle information ou une nouvelle idée surgit dans notre esprit. Il se déroule en deux étapes : d’abord traiter l’information et ensuite réagir. Ici entre en jeu deux notions très importantes, celle du temps et celle de l’état (voir note de bas de page), dont je dois parler avant de poursuivre avec les deux étapes.
Le temps se passe de définition. Les expressions court terme, moyen terme et long terme nous sont familières. Un rendez-vous chez le dentiste est précis, « mon examen annuel est mardi prochain à dix heures ». D’autres événements le sont moins « il faudrait bien que nous allions visiter l’oncle Luc autour de Noël ». Notre esprit jongle avec une grande quantité d’alternatives, réaménageant constamment notre projection dans l’avenir « oh, finalement, nous avons décidé de reporter notre voyage de cet été à l’an prochain ». Et les algorithmes de prise de décision de notre cerveau doivent prendre en compte le temps requis « nous aurions eu besoin de trois jours supplémentaires pour terminer les rénovations avant de partir ». Cette mécanique de l’esprit pose, a priori, une méga difficulté aux informaticiens affairés à concevoir un agenda électronique. L’agenda est traditionnellement une grille horaire avec, en marge, quelques cases « mois » où il est difficile de tenir compte du temps requis versus le temps disponible. Les événements à venir doivent pouvoir sauter facilement d’un niveau de précision à un autre, tout en prenant en compte leur durée « je reporte le rendez-vous de demain à la semaine prochaine, je prévois avoir plus de disponibilités ».
Curieusement, la notion d’état se définit aussi difficilement que la notion de temps. On dit de l’état qu’il s’agit de l’état dans lequel on se trouve, aux dires de Jean-Charles Gille (sic), chercheur franco-québécois de renom. Ce concept abstrait est un peu comme l’amour : impossible à définir de façon concise et complète. Seul le vécu permet d’en construire le sens. Ce qu’il importe de réaliser est que, en soi, notre état est indépendant du temps, par exemple, je suis riche et en santé est un état. Bien sûr, nous savons bien que notre état résulte de tout ce qui s’est passé dans le temps. Et bien sûr, il continuera de se modifier au fil du temps à venir. Il se modifie par des facteurs externes, sur lesquels nous n’avons aucun contrôle. Mais il se modifie aussi par nos actions, c’est la partie où s’exerce notre liberté et où nous avons le pouvoir de créer notre avenir. Retournons maintenant aux deux étapes.
Nous vivons. Donc notre état change continuellement. L’arrivée d’une nouvelle information ou idée change notre état, dans la mesure où nous y sommes sensibles bien entendu. Il en va de même pour tout événement, à commencer par le simple fait que le temps passe et que nous vieillissons. Vivre en pleine conscience consiste en ce que notre esprit soit présent, à traiter l’information. C’est la première étape du processus, soit une prise de conscience de l’état dans lequel nous nous trouvons. Nous l’actualisons. Ce qui, si nous le jugeons opportun, nous amène à modifier notre base de données personnelle, laquelle en principe devrait refléter assez bien notre état. Par ailleurs, nous verrons que lorsqu’un événement comporte de multiples dimensions, cela entraîne bien souvent plusieurs modifications.
La seconde étape consiste à établir vers quel état nous souhaitons évoluer et statuer sur l’action juste à poser. Ce qui nous amène à intervenir sur le monde et sur nous-même. En d’autres mots, nous identifions les changements d’état recherchés et établissons les actions à poser dans le temps. Cela a une incidence sur notre base de données, encore une fois, et nous amène à planifier de nouveaux événements.
Pour rendre tout cela plus concret, prenons l’exemple suivant. Une amie me raconte une expérience inoubliable qu’elle a vécue en voyage, en Amérique du sud. Elle précise l’endroit exact, dans la ville de Cusco au Pérou, où elle a découvert des merveilles architecturales Incas et coloniales. J’en bave d’envie. La valeur qu’a cette information est suffisamment importante pour que je la note dans la liste des endroits à visiter lors de mon prochain voyage (actualisation de l’état recherché). Je décide également d’en parler la semaine prochaine aux personnes avec lesquelles je compte partir bientôt en voyage (action à poser).
Ce que je désire évoquer ici est comment nous pensons à la fois de façon globale et à la fois de façon linéaire. Lorsque je rêve à mon prochain voyage, j’éprouve toutes sortes de sensations, d’envies, de craintes et de plaisirs… de nouvelles informations se présentent, comme l’emplacement de cet endroit à Cusco, et viennent enrichir ma base de données personnelle. Le parallèle est évident avec ce qui vient d’être décrit du fonctionnement du cerveau droit, là où le portrait global réside. Par ailleurs, je sais bien que pour que se réalise ce rêve, je dois me mobiliser, donc poser des actions dans le temps, comme en parler à mes copains. Le côté gauche s’en charge.
De cette petite réflexion sur le fonctionnement de notre cerveau, en ressort le rôle de chaque hémisphère, le droit étant celui où se dessine le portrait global de notre vie, où nous cherchons l’essence du bonheur et le gauche, celui nous servant à poser des actions concrètes au quotidien. La technologie, qui se propose en soutien pour la gestion personnelle de nos vies, gagnerait à prendre en considération ce fonctionnement qui nous est propre. Un agenda doit avoir un lieu qui incarne l’état et un lieu qui incarne le temps, lesquels seraient évidemment interconnectés.
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Note
Je dois au mathématicien hongrois Rudolf Emil Kalman mon inspiration à recourir aux notions de temps et d’état.
Ce célèbre mathématicien est l’inventeur des variables d’états devenues extrêmement utiles en commande de systèmes complexes et plus particulièrement en robotique.
L’idée maîtresse est d’une magnifique simplicité.
Une action posée sur un système le fait passer d’un état à un autre.
Et la nouvelle action à poser, on dira la commande, se fait en tenant compte du nouvel état dans lequel le système se trouve, lequel est en soi indépendant du temps.